Stéphane Couturier : présentation
Depuis maintenant trente ans, Stéphane Couturier, né en 1957, poursuit, de Berlin à Brasília et de Séoul à Alger, par la photographie et par la vidéo, un travail autour de l’architecture des xxe et xxie siècles.
En une seule prise de vue, puis, à partir de 2005, au moyen d’un principe très simple de combinaison sur ordinateur de deux clichés, Couturier conçoit, avec une grande diversité de formes et de couleurs, de véritables constructions photographiques. Parfois proches de l’abstraction tout en ayant un fort ancrage documentaire, ses images dynamiques, faites de motifs de points de vue différents, utilisent les techniques de l’entrelacs et de la grille : réflexions sur la ville moderne et sur la façon dont l’architecture façonne notre perception et notre imaginaire, elles sont aussi des hommages indirects à quelques grands architectes et artistes modernes, Eileen Gray, Le Corbusier, Fernand Léger, Fernand Pouillon…
Depuis quelques années, parallèlement au tirage photographique encadré, Couturier expérimente d’autres formes murales et d’autres matériaux jouant de la répétition et d’un autre rapport physique du spectateur à l’image. Cette volonté d’explorer de nouvelles formes le conduit aussi à poursuivre un travail avec la vidéo,dans le droit-fil de sa pratique photographique : privilégiant des approches simples et sans montage, du plan fixe au travelling, ces vidéos apparaissent comme autant de photographies animées qui ouvrent davantage l’œuvre à la présence humaine et rendent compte différemment de la façon dont l’homme occupe, vit et transforme l’architecture.
Présentation des oeuvres par l’artiste
1 – La cité « Climat de France Parler d’Alger depuis la France fait immédiatement rejaillir des souvenirs, des blessures, des poncifs. L’Algérie est trop proche pour que l’on en parle avec sérénité et détachement. Qu’est ce que « Climat de France » ? Il s’agit de la plus grande cité d’Alger édifiée juste avant l’indépendance de l’Algérie par l’architecte Fernand Pouillon. « Climat de France » c’est une cité de plus de 30.000 personnes construite par une grande figure de l’architecture des années 1950, Fernand Pouillon (1912-1986). En 2012 lors des prises de vues vidéos, elle comptait environ 60.000 habitants. Entrer dans cette cité, c’est comme entrer à l’intérieur d’un concentré de tous les maux de la société algérienne. Une ville dans la ville, qui représente toutes les contradictions de cette société coincée entre espoir et désenchantement. Ici, la police et les personnes extérieures ne rentrent pas ; la cité est comme livrée à elle même, vivant en autarcie. Dans la cité, un fief du Front islamique du salut (FIS), puis du Groupe islamique armé (GIA) dans les années 1990, la mosquée Ennour a longtemps été sous la coupe de l’idéologue du FIS, Mohamed Saïd. Lieu d’affrontement entre GIA et pouvoir, et maintenant, place forte de tous les trafics, la « Cour des 200 colonnes », grêlée de paraboles, est aussi surnommée « la Colombie » pour son trafic de drogue. Y domine le commerce illicite de la « Mère Courage », un puissant psychotrope. Il a fallu de l’audace et de la persévérance pour pouvoir y pénétrer. La rencontre d’Hamid Rahiche, un habitant de la cité, fut déterminante. L’idée d’un travail au long cours s’est alors imposée et je m’y suis rendu de 2011 à 2017 plusieurs fois par an pour concevoir l’ensemble du corpus d’images. A côté de l’image fixe, j’ai décidé de concevoir un ensemble de vidéos pour capter le quotidien de cette cité unique. |
2- La vidéo – Travelling latéral – Place des deux cents colonnes L’idée de départ, dans la continuité du travail photographique, est de se concentrer sur la trame architecturale de la cour. Tout en restant frontal, il s’agit en quelque sorte de déplier l’architecture de cette cour des deux cents colonnes. Et de faire ne sorte que cette colonnades devienne sans fin. Pour cela, depuis l’intérieur d’une voiture, j’ai réalisé un lent travelling des deux façades principales de la cour. J’ai choisi une journée sans soleil pour éviter les problèmes de raccord entre façades nord et sud. L’unité de lieu et de temps est importante, donc les deux prises ont eu lieu le même jour, ce qui permet de voir en champ contre-champ, les mêmes personnes à quelques minutes d’intervalle. La mise en boucle de la vidéo a nécessité un long travail de post-production réalisé par Olivier Talouarn pour qu’aucune coupure ou raccord ne soit visible. Cette mise en boucle de cette déambulation nous fait basculer vers une vision sans fin, de ces colonnades. Ainsi la vidéo n’est pas conçue sous forme de progression dramatique, elle se donne à voir comme une globalité dans une sorte de hors temps qui étire, malaxe, condense ce temps tout en gardant intact les éléments constitutifs de cette architecture, témoin des décisions politiques qui ont façonné l’histoire de l’Algérie contemporaine. La présentation en triptyque de la vidéo permet de renforcer l’impression d’entrer dans la cour comme dans une arène. La dynamique combinatoire qui en résulte, crée à la fois une continuité mais aussi des tensions entre les différentes projections. Le triptyque crée ainsi une trame mobile et opère une abolition de l’idée d’un centre. La répétition des colonnes et de la trame architecturale de Pouillon associée à l’appropriation des habitants fait naître des mutations improbables… L’architecture est vivante. |
Nous remercions vivement Monsieur Stéphane Couturier et la Galerie Christophe Gaillard d’avoir permis cette exposition dans le cadre de la Semaine Arabe 2024.